Le nouveau monde

Lundi 15 janvier 2018. Un jour ordinaire, comme beaucoup d’autres. Une journée quelconque pour les badauds qui se croisent sur les trottoirs de la ville, mais pas pour elle.

Elle, c’est une jeune femme au visage pâle, à l’allure enfantine. Sa peau sent encore le miel que sa mère mettait dans son lait chaud le soir avant de s’endormir. Elle, c’est un regard toujours un peu triste, un gris bleu qui pleut derrière des yeux fatigués par ces dernières semaines. Elle, c’est un grain de beauté sur la lèvre supérieure et des centaines de tâches rousses émiettées ici et là sur ses pommettes sages. Elle, elle n’a que 17 ans, mais se sent l’âme d’une grande.

Dehors, la neige caresse le pavé et le vent danse entre les arbres dénudés. Il règne dans l’atmosphère cette ambiance un peu morose, un peu nostalgique, d’après les fêtes. Personne n’attend plus rien du mois de janvier. Personne sauf elle.

Elle regarde sa montre pour la énième fois. Deux heures que cela dure et elle ne la supporte déjà plus. Elle, c’est la douleur. Puissante. Lancinante. Ingrate et pourtant diaboliquement charmante. Envoûtante. Devenue sa meilleure ennemie depuis peu, elle s’est glissée dans son corps, doucement, subtilement, sans se faire remarquer et sans bruit. Mais à présent, elle ne peut plus l’ignorer. Elle ferme les yeux et, sans la voir, elle l’entend gémir en elle, tel un enfant malade.

Cette fois-ci, elle a bien appris sa leçon. Enfin elle croit, elle n’en est plus certaine. Ses idées se disputent la première place au sein de sa raison. Pourtant, elle fonce, elle n’a plus le choix.

Elle arrive là bas le souffle court, les jambes molles et le front moite. Elle sent instantanément une présence inconnue rôder autour d’elle. Quelque chose dont le souffle froid et sec la frappe brutalement entre les côtes. La Peur. Oui, cette peur, aiguë  et franche, l’avale toute entière, mâche ses pensées et dévore ses entrailles. La peur au corps mais l’amour au cœur, pense t’elle. Et son cœur est une symphonie menée à la baguette par un chef d’orchestre encore inconnu. Se recentrer sur elle. Apprivoiser son corps. Dompter ses pulsions et ses émotions les plus primaires. Tel est l’obscur combat qu’elle s’apprête à mener. Seule. Un combat animal. Elle se sent devenir lionne, louve, elle sent son corps muer sous ses doigts. Elle sera très bientôt une autre version d’elle-même. Et si l’heure est venue, alors soit. Elle s’y pliera, le corps endolori, traumatisé, mais vivant et victorieux.

Autour d’elle, les lumières bien trop fortes brûlent le bleu de ses yeux et les murs bien trop blancs lui donnent la nausée. Ses muscles ne lui appartiennent plus, ils se raidissent à présent sans lui laisser le moindre répit. Elle n’est plus que douleur. Son corps est douleur, la vie est douleur. Des bruits inconnus bourdonnent dans ses oreilles et quelques personnes s’agitent autour d’elle.  Combien ? Une, deux ou plus ? Ses yeux ne s’ouvrent désormais plus que pour lui donner la force qui lui reste encore dans les tripes. Dans une dernière seconde de lucidité, elle respire à nouveau, rouge de ténacité. Et il est temps. Le temps d’un instant, le silence flotte dans la pièce, chaude et accueillante. Et soudain, nait en elle cette émotion, qui jamais plus ne la quittera. L’oisillon tombé du nid cherche la seule personne qu’il connaisse. Il sait qu’elle est tout près. Il connaît le bruit de son cœur qui vit, le son de sa voix qui chante, ses émotions qui jaillissent au détour d’un chemin trop vite emprunté. Elle, se sent perdue et si petite.

La lumière de ce jour d’hiver éclaire la petite poupée au visage chiffonné et fait éclore le printemps dans les yeux de sa mère. La rencontre, cette rencontre, est délicate et unique. Ni aujourd’hui, ni demain, elle ne vivra pareille émotion. Sa peau, brûlée par l’amour qui l’inonde, appelle le petit être qui vient de naître. Leurs deux corps réunis, il vient se recroqueviller dans la chaleur maternelle. Enfin, il la retrouve. Elle, elle est si jeune et pourtant, ne s’est jamais sentie aussi vivante et responsable. Elle tient entre ses bras un monde nouveau et se retrouve plus riche qu’elle ne le sera jamais.

***Chloé***

11 commentaires sur “Le nouveau monde

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  1. Quelle emotion de te lire… Et encore plus pour raconter ce moment si magique qui change tout, celui où ton personnage devient maman… Plus on lit plus on comprend ce qu il se passe, tant par la beauté de ton écriture que des emotions que l’on revit en meme temps… Et je t’avoue que j’ai été tres emue d autant que je suis devenue maman en janvier 🙂

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  2. S’il n’y avait qu’une rencontre… C’est beau et bon de l’imaginer, elle, entre le froid du temps, celui de sa jeunesse et le travail du corps. J’aime tes portraits, merci de les partager avec nous. Il faut qu’ils soient réunis dans un recueil !!!

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